Fabien Mérelle navigue à vue

Encre, aquarelle, crayon. La nouvelle saison de Fabien Mérelle s’expose actuellement à la galerie Praz-Delavallade, à Paris. D’épisode en épisode, l’artiste nous entraîne sur les chemins aventureux d’un personnage à son image. De paysages enneigés à l’infini aux branches d’un arbre pelé, ce double au pantalon de pyjama rayé poursuit assidûment l’exploration d’une vie à la fois quotidienne et extraordinaire. Traversée(s) est à découvrir jusqu’au 6 octobre.

Dégel, Fabien Mérelle, 2018.

Ce samedi-là, il fait un temps radieux sur la capitale. Les rues du Marais sont encombrées comme jamais. Il y a ceux qui défilent, ceux qui se baladent, ceux qui travaillent et tous les autres. Au bout du chemin, une porte cochère, une cour pavée et une galerie aux murs blancs, évidemment. Quelques chuchotements tout au plus résonnent entre ces murs. Les bruits de la ville ont disparu, laissant place à la petite musique des œuvres. Aux cimaises, le trait de Fabien Mérelle dessine la suite. Il n’y a là ni période, ni rupture, mais une continuité sincère, une exploration volontaire et effrontée de l’existence. Un peu comme si cette dernière se devait de rendre gorge. Il ne manquerait plus qu’elle passe sans rien nous laisser, nous apprendre. « C’est comme d’habitude, des états d’âme de Mérelle. Ce qui se passe dans sa vie au jour le jour. C’est aussi l’expo où dessins d’enfant et dessins d’adulte se concilient. Jusqu’à présent, je ne les avais montrés que de manière occasionnelle, sans vraiment qu’ils prennent leur part. Aujourd’hui, ils se mêlent aux autres et, comme eux, racontent chacun une histoire. » L’artiste est arrivé discrètement vêtu d’un jean bleu foncé et d’une chemise à manches longues. Il n’a pas changé autant que son personnage au physique désormais moins juvénile. « Traduction probable de la manière dont je me vois. C’est très intéressant et agréable d’évoluer physiquement dans ses dessins. C’est une démarche au long cours qui consiste à observer comment un corps évolue, vieillit. » Et le pyjama rayé ? Va-t-il rester ? « Et oui, parce que c’est ce burlesque-là qui me plaît. C’est moi et ce n’est pas moi. Un peu comme le clown quand il enfile son costume. » Face à Fabien Mérelle, le seul dessin au crayon de l’exposition. « Ce n’est absolument pas la même manière d’appréhender le volume. Tout change. C’est comme entendre un même morceau de musique jouer tour à tour avec un instrument différent. » Cela donne un côté plus réaliste au dessin ? « Je ne m’en rends pas compte. Seuls les défauts m’apparaissent. Un noir aurait peut-être dû être plus profond à tel endroit et peut-être moins ailleurs… » Sur les autres feuilles, encre et aquarelle prennent le relais. Des aplats de gris remplacent les nuances de graphite, la précision de la plume sépare sans équivoque la roche de l’air. En filigrane, la recherche du clair-obscur laisse émerger des ombres, sans pour autant donner à voir l’élément sur lequel bute la lumière. L’obscurité ainsi chassée donne naissance à un paysage irréel, un mirage que seul le personnage dément.

Jamais seul, Fabien Mérelle, 2018.

Un arbre a poussé au milieu des brins d’herbe jouxtant le château, le personnage emprunte désormais la passerelle enjambant une étendue d’eau, une vache est apparue dans le pré surplombé d’un arc-en-ciel bigarré, le robot de l’enfance a maintenant un copain, entre deux tipis, le protagoniste de l’œuvre décroche la lune… Chaque dessin fonctionne comme une machine à remonter le temps. L’artiste avait tout au plus 5 ou 6 ans. A cette époque, il rêve en couleurs. Réinvesties à l’âge adulte, les scènes ne sont plus seulement des témoins d’une époque révolu. Elles viennent réactiver un paradis sans pareil, rouvrir le chemin d’une liberté sans égale. Au diable les proportions et les lois de la perspective, l’enfant trace sur la feuille une vision heureusement symbolique du monde que l’adulte continue de reconnaître et d’approuver. Est-ce que vos enfants dessinent ? « Pas trop. Samuel a quatre ans et pour le moment est plus intéressé par les jeux de construction. Quant à Laura, 7 ans, elle préfère les récits, même si elle confectionne de petits livres avec parfois quelques illustrations. » Et quand ils se voient dans vos dessins ? « Rien de plus normal pour eux. Ils sont habitués. Parfois, Sam s’étonne même que je ne sois pas en train de le dessiner ! » Pas une exposition sans eux. Qu’ils sautent ou tirent la langue. Dans la neige jusqu’à la taille, le personnage continue d’avancer. Derrière lui, six loups inscrivent une ligne brisée dans le blanc de la page. « Suis-je le premier des loups ou leur proie ? Qui est le loup ? Jouer avec cette question m’intéresse. La menace est toujours latente et ambigüe. J’aime qu’il ne soit pas possible de définir clairement la scène, même si de mon côté je sais ce qui s’y passe. Chacun doit pouvoir s’imaginer quelque chose de différent. » Décidément, Fabien Mérelle aime les histoires.

Décrocher la lune, Fabien Mérelle, 1986/2018.

Au milieu de l’espace d’exposition, un radeau interroge le visiteur. Depuis quelques années maintenant, certains dessins ont pris du volume. Il y a quelques mois, lors de la manifestation placée sous le commissariat de Jan Fabre et Joanna de Vos, Le radeau. L’art (n’) est (pas) solitaire, à Ostende, était exposé un dessin montrant son personnage gratifié d’oreilles de faune et accroupi sur un radeau. La voilà donc, cette embarcation de fortune venue jusqu’à Paris nous conter le récit d’une traversée singulière. Il n’est plus ici question de la solitude d’un presque naufragé mais d’un vent de plaine gonflant la voile, d’un horizon jaune de colza. L’esquif a connu les espoirs de la terre fraîchement labourée, le ciel moutonneux de la région parisienne. « Dans mes dessins, je peux piocher des éléments et les en extraire. Ce radeau sort tout droit de l’un d’entre eux. Une fois devenu volume, je peux en faire ce que je veux. Pour l’exposition, je l’ai installé dans un champ que mon grand-père a labouré toute sa vie. » L’artiste en tricot de peau et pyjama rayé est debout à sa proue et regarde au loin. Une photo prise par son père nous offre l’instant. « L’essentiel est qu’il poursuive son voyage. J’aimerais bien qu’il vogue sur la Loire. » Mais ce radeau ne possède pas de dérive ? « Et alors ? Ce serait naviguer un peu comme on vit. »

Contact

Fabien Mérelle – Traversée(s), jusqu’au 6 octobre à la galerie Praz-Delavallade, à Paris.

Crédits photos

Image d’ouverture : Sans titre, 2018 © Fabien Mérelle, courtesy galerie Praz-Delavallade – Toutes les photos sont créditées © Fabien Mérelle, courtesy galerie Praz-Delavallade

 

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