Art & Sciences – En immersion avec Miguel Chevalier

Le Centre des arts d’Enghien-les-Bains accueille jusqu’au 15 décembre Power pixels 2013. L’exposition déploie sur deux étages les différents axes de travail de Miguel Chevalier et permet de découvrir plusieurs pièces inédites. A cette occasion, l’artiste a accepté de s’adonner à un petit jeu des mots.

Miguel Chevalier
Janus, Miguel Chevalier, 2013.

Janus accueille le public. Cette monumentale tête au double visage façonnée par une imprimante 3D donne le ton d’une œuvre qui n’oublie rien de l’histoire de l’art, mais qui utilise l’innovation de pointe pour continuer de l’écrire. Le Centre des arts (CDA), à Enghien-les-Bains, accueille jusqu’au 15 décembre Power Pixels 2013 de Miguel Chevalier. L’exposition réunit essentiellement des pièces nouvelles et récentes, mais aussi quelques-unes plus anciennes, pour restituer au mieux une vision globale du travail de l’artiste. Réparties entre ses trois thèmes de prédilection, « Les flux et les réseaux », « La nature et l’artifice » et « Les méta-territoires », les pièces investissent l’espace sur deux étages. Le titre de l’exposition, un brin provocateur, sert de fil rouge. « Le pixel est un élément intrinsèque de ce qui caractérise l’image digitale. Je le revendique et l’affirme haut et fort, comme Roy Lichtenstein, et Richard Hamilton dans le Pop Art, Alain Jacquet ou les membres du Nouveau Réalisme qui se sont intéressés à l’agrandissement du point et de la trame offset. Je trouve important d’aller à la source même de ce qui fait le numérique. De le rendre visible et d’en faire quelque chose qui s’apparente à une marque », précise Miguel Chevalier. Emporté dans des univers de couleurs et de mouvements, le visiteur se penche sur La Table des convivialités, découvre Cartographie de l’art digital et de ses origines et se laisse hypnotiser par L’Origine du monde. « Ce qui m’intéresse le plus, c’est de créer des univers génératifs et immersifs où l’on est complètement enveloppé par l’image, comme ce fut le cas dans les Carrières de Lumières des Baux-de-Provence. Une de mes grandes ambitions est d’acquérir un lieu de cette nature pour réaliser un projet qui s’appellerait “Du pariétal au digital” », s’enthousiasme l’artiste. Power Pixels 2013 est une occasion rare d’embrasser l’ensemble d’une œuvre qui habituellement ne se laisse saisir qu’une pièce à la fois. « Spectaculaire », disent certains pour ne pas avoir à reconnaître les mérites d’un travail artistique vrai, d’une recherche passionnée et tenace. Personne ne peut aller contre le cours du temps.

Janus

Pour Power Pixels 2013, Miguel Chevalier a choisi de montrer plusieurs sculptures réalisées avec une imprimante 3D. « Obama parle d’une 3e révolution ! La révolution de l’impression d’objets de toute sorte ou la matérialisation du virtuel en objet grâce à une imprimante 3D, cela va changer la donne, bouleverser nombre d’industries comme le numérique l’a fait notamment dans le secteur de l’imprimerie. Elle permet un passage rapide du virtuel au réel. Réaliser Janus à la main aurait été extrêmement difficile et laborieux. Pour le moment, l’utilisation des couleurs n’est pas encore bien maîtrisée mais c’est probablement une affaire de quelques mois. Le digital s’est désormais infiltré dans le domaine de la sculpture, à quand le tour de la pâtisserie ! »

Filiation

Miguel Chevalier« Il faut observer que dès la fin du XIXe siècle, le travail de certains artistes préfigure l’art numérique. Que ce soit le pointillisme avec Seurat, qui s’inspire des théories sur la diffraction de la lumière établies par Chevreuil, ou l’impressionnisme, avec Monet, qui cherche lui aussi à capter cette même lumière. Plus proche de nous, on peut citer les recherches sur les formes et les couleurs des constructivistes ou du groupe De Stijl avec Mondrian et aussi l’approche quasi interactive de l’art cinétique avec Vasarely, Soto ou Cruz-Diez. Je me souviens aussi que, dans plusieurs pièces datant des années 1960, François Morellet demandait au visiteur d’appuyer sur un bouton pour provoquer une action au sein de l’œuvre. L’idée que le spectateur peut agir sur elle était déjà là, on est déjà dans l’interactivité. »

Sources d’inspiration

« Le muraliste mexicain Diego Rivera, par exemple, était un artiste qui voulait faire de l’art mural à l’échelle urbaine, sortir des musées et des galeries pour se développer dans l’espace public et pour s’ouvrir au plus grand nombre. De leur côté, Christo et Michael Heizer sont des artistes du Land art qui vont encore plus loin et créent des œuvres monumentales à l’échelle du paysage, impossible à exposer dans un musée ou une galerie. Autant de références à l’œuvre quand je développe certains projets comme celui des carrières des Baux-de-Provence ou les projections sur des pistes de ski au Grand-Bornand. Mais si l’art digital peut se nourrir ainsi, il se doit de poursuivre sa quête et les artistes d’ouvrir de nouvelles voies de création pour le XXIe siècle. »

Reconnaissance

« L’art digital est mieux considéré qu’il y a dix ans car le monde bouge, avec les Smartphones et les tablettes tactiles, mais aussi parce qu’un certain nombre d’amateurs, de conservateurs de musée, de directeurs de centres d’art réalisent qu’il offre désormais une palette des possibles de nature à intéresser, non seulement leur public traditionnel, mais aussi d’en attirer un nouveau, plus jeune. »

Trans-Natures

Miguel Chevalier
Trans-Natures, Miguel Chevalier, 2013.

Après l’expérience des Sur-Natures et des Fractal Flowers, Trans-Natures est une nouvelle génération de fleurs virtuelles. « Les scientifiques font beaucoup de simulations pour comprendre comment les plantes poussent en fonction de leur écosystème. A partir de certaines des études de l’Inra (NDLR : Institut national de la recherche agronomique), j’ai imaginé des spécimens qui n’existent pas, mais dont la croissance est calquée sur celle de vraies fleurs », explique Miguel Chevalier. Chaque modèle naît aléatoirement, s’épanouit et meurt en fonction de son « code morphogénétique ». En nombre, ils forment des jardins luxuriants, une nature de synthèse en métamorphose permanente.

Expérimentation

« L’art est une forme d’expérimentation. A chaque époque, les artistes utilisent les outils qu’ils ont à portée de la main. Man Ray fera des rayogrammes et de la photo un art à part entière, et Nan June Paik fera de même avec la vidéo ! Il y a toujours une période d’observation et de difficulté. N’oublions pas qu’au début des années 1980, j’étais tributaire du bon vouloir du CNRS pour accéder aux ordinateurs ! La micro-informatique a libéré les pratiques. Un phénomène similaire est en train de se produire avec les imprimantes 3D. Je m’y intéresse depuis sept ou huit ans mais, jusqu’à présent, il était compliqué d’y avoir recours à cause de leur coût ; tout cela vient de changer avec Makerbot qui a produit une imprimante 3D à bas coût »

Rapport avec la science

« Mon travail contient une part importante d’expérimentation. Avec parfois des ratés.  Comme pour un scientifique. La curiosité est un élément essentiel. L’art est une quête, une recherche comme celle que les scientifiques peuvent initier dans leur domaine. Parfois, je regarde comment ils travaillent et m’en inspire comme pour L’Origine du Monde, qui prend en compte l’observation des automates cellulaires, ou Trans-Natures, qui met à profit une étude sur la croissance des plantes. Même inspirée par la science, chacune de mes œuvres témoigne d’une écriture qui est la mienne et reflète ma sensibilité. »

Cartographie de l’art digital et de ses origines

Miguel Chevalier
Cartographie de l’Art Digital et de ses origines, Miguel Chevalier, 2013.

Sur cette vaste toile virtuelle, plusieurs centaines de noms d’artistes, de critiques, d’historiens, d’institutions et de mouvements apparaissent aléatoirement, suivent une trajectoire et disparaissent. Avec cette cartographie, Miguel Chevalier rend hommage à tous ceux qui ont fait du numérique leur média de prédilection : « J’ai constitué moi-même la base de données. Elle va s’amplifier et se préciser avec le temps. En affichant ainsi les filiations, les acteurs historiques et ceux qui aujourd’hui pratiquent l’art digital, j’espère réduire les distances existant encore entre ce dernier et l’art contemporain. »

Contact

Power Pixels 2013 jusqu’au 15 décembre au Centre des arts d’Enghien-les-Bains, 12-16, rue de la libération, 95880, Enghien-les-Bains, France.
Tél. : 01 30 10 88 91 www.cda95.fr.
Et le site de l’artiste

Crédits photos

Image d’ouverture : Vue de l’exposition Power pixels au Centre des arts d’Enghien-les-Bains © Miguel Chevalier – Cartographie de l’Art Digital et de ses origines © Miguel Chevalier, logiciel : Claude Micheli – Janus © Miguel Chevalier Portrait © Miguel Chevalier – Trans-Natures © Miguel Chevalier, logiciel : Cyrille Henry

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