Art Paris Art Fair – Design expérimental et poétique

Art Paris Art Fair ouvre ses portes aujourd’hui au Grand Palais. En plus de la découverte d’un panorama de la création contemporaine – quelque 140 galeries venues du monde entier sont présentes –, la manifestation propose plusieurs plateformes spécifiques, dont un espace consacré à la Chine, invitée d’honneur de l’édition 2014, l’Art Books librairie, qui met en valeur le livre d’artiste et le livre d’art, et un secteur design agrémenté de l’ArtdesignLab, qui accueille une sélection de pièces à la frontière entre design et art contemporain. Pour approfondir ce sujet, les visiteurs pourront assister, vendredi 28 mars de 16 h à 17 h 30, à  une table ronde sur le thème « Le design expérimental : objets d’art ? ».

L’atelier d’Eric Van De Walle est accueillant. Evoluant entre différentes tables de travail, l’artiste explique comment il explore les contraintes du bois pour mieux en détourner l’usage. Raboteuse, dégauchisseuse, scies et autres engins à poncer sont mis à l’épreuve, poussés jusqu’à leurs limites pour mieux explorer celles du matériau. Une fois travaillé en tous sens, un aggloméré hydrofuge peut évoquer la pierre sans avoir été perverti. « Je me repose sur des formes et des gestes simples, facilement identifiable par tous. Ce qui m’intéresse, c’est de transcender l’objet dans la simplicité. J’adore les géométries parfaites qui ne peuvent se prévaloir d’affect individuel. Il est possible d’y greffer plein de choses. » Eric Van De Walle, même s’il excelle à travailler et à détourner les techniques et savoirs faire empruntés à certains métiers d’art, n’aime pas le mot virtuosité. Elle n’est pas une fin en soi mais plutôt l’assurance de faire pâlir quelques satisfaits de leurs dix doigts ! « Je suis plasticien, j’ai suivi un cursus en école d’art, puis une spécialisation en histoire du cinéma. Je n’ai jamais eu l’impression de faire des meubles… Chaque pièce est pensée comme une œuvre. » Ses références sont celles de l’histoire de l’art. Il évoque aussi bien Pierre Bonnard, que Mark Rothko ou Frank Stella. « Je réfléchis à ce statut du plasticien et à celui du designer. Ne peut-on être entre les deux ou les deux ? » Une question posée aujourd’hui par nombre de créateurs qui, entre le prototype et la pièce unique, se sentent déborder de l’univers du fonctionnel, et aussi par des artistes qui, tentés par la création de mobilier ou autres objets utilitaires, revendiquent une réflexion et des gestes appartenant à l’art et non au design de masse. Cette intersection est l’objet même de la réflexion qui a mené à la réalisation d’ArtdesignLab, confiée à Eric Van De Walle et à Emmanuelle Rosenfeld par la foire internationale d’art contemporain Art Paris Art Fair, actuellement installée au Grand Palais.Penser un plus petit dénominateur commun

« Les designers invités à investir cet espace nous engagent à une réflexion à partir de leurs attitudes, de leurs pratiques et de leurs recherches. Ce qui les caractérise, à travers les projets présentés, c’est sans doute une radicalité élémentaire, essentielle et stricte, exigeante, produisant des objets qui, au-delà de leur fonction, laissent une part active à l’interprétation et au questionnement », explique la consultante dans le domaine du design. Et de poursuivre : « Chaque designer a sa personnalité, son processus de création et son écriture. La sélection des pièces présentées illustre différentes préoccupations et manières de faire. Nous avons souhaité mettre en exergue un débat souvent ignoré et neutralisé par de nombreux événements intitulant “design” ce que l’on devrait plutôt qualifier d’artisanat de luxe. » 

Dans l’atelier d’Eric Van De Walle, un escalier mène à une pièce harmonieusement éclairée par les sculptures de Joseph Meidan. Les plasticiens se sont trouvés des affinités dans l’usage des matériaux. Le premier a invité le second à venir partager son espace et, désormais, leurs créations aiment à se côtoyer. Breakwater est une sculpture lumineuse. Ce face-à-face de deux plaques de marbre, reliées et maintenues parallèlement l’une à l’autre par un néon, fascine. « Mes objets font confiance à leur environnement, à l’espace qui les entoure et les aide à assurer leur fonction », précise Joseph Meidan. A quelques centimètres, Inside pedestal vient évoquer à la fois un banc et une colonne de pierre échappée d’un temple antique. Entre art minimal et romantisme allemand, les images qui viennent à l’esprit sont nombreuses et sciemment installées par Eric Van De Walle. « Ma grammaire consiste en la mise en place d’une radicalité, d’un minimum. Je m’ingénie à penser un plus petit dénominateur commun, à effacer l’effort, rendre mon exigence métrique invisible et dissimuler les détails constructifs, dessiner les vides auxquels mes meubles et objets sont accrochés. Ils sont avant tout des gestes, ils tiennent de la sculpture et de l’architecture. Ils se détachent de leur statut assigné, ne sont pas toujours identifiables, néanmoins ils répondent à une fonction élémentaire et primaire. Ils sont une résistance au temps », commente-t-il.

Joseph Meidan
Breakwater, Joseph Meidan, 2013

A Art Paris Art Fair, six autres pièces les accompagnent. Onde, de Perrine Vigneron, est une abstraction ronde et ondoyante dont la vocation est de servir de panneau acoustique. « L’enjeu était d’en faire un objet véritable. Le choix de la forme obéit à une dialectique fonctionnelle et plastique. Les qualités phoniques du feutre sont accrues par sa mise en forme tridimensionnelle. Les ondulations créent comme un bas relief vibrant doucement à la surface du mur. » Extreme Stunt est une tapisserie au rendu comme « pixélisé », signée par Statue (Romain Guillet, Louise de Saint Angel). Ensemble, ils déploient une recherche qui les oblige à inventer, transformer et revisiter des objets oubliés, « à penser les espaces comme des décors habités, des expériences globales, graphiques et non ordinaires. » Pièce capitale de la sélection, Multimeuble est l’adaptation d’un livre pour enfant des années 1970. Elle se présente tel un jeu de construction constitué de treize éléments de mobilier dessinés dans un rectangle et qui, une fois découpés, peuvent former l’essentiel du mobilier d’une cuisine, par exemple. « En faire le moins possible, laisser les choses exister, parfois à contre courant, en “contre temps”, (dans l’indifférence), avec exigence. Dessiner beaucoup pour dessiner le moins possible ; dessiner à un autre endroit », nous dit David Enon. Dominique Mathieu, quant à lui, présente NO GMO, « outil » réalisé pour l’occasion. Ce plantoir en acier peint en rouge est une interpellation. Mais laissons plutôt cet ancien pensionnaire de la Villa Médicis (2000-2001) s’expliquer : « Le design génétique, qui est le seul domaine où les enjeux subsistent, est la démonstration de la perte historique de l’humanisme bienveillant. Le design du plantoir français ne laisse aucun doute quant à sa funeste référence ; notre avenir proche dépendra alors du choix que nous ferons entre l’arme et l’outil. Quant au designer, il n’aura d’autre alternative que de couper les fils qui le relient à l’hégémonie du capital financier, afin de planter les bonnes graines. »

Le détail comme une interface entre forme et sens

Gilles Belley et Last Memories ouvrent un autre pan de réflexion. L’œuvre est en réalité une pièce de scénographie qui aborde donc le thème de l’objet et de l’archétype. Comment être un meuble quand on en n’est pas un ? Telle est la question. Le designer répond à ce défi en faisant appel à la mémoire et à la raison. Les formes, la matière, les éléments choisis pour compléter l’ensemble viennent crier à notre cerveau : « Ceci est un meuble ! » « Dans mes réalisations, quelle que soit leur nature – mobilier, produit industriel, scénographie ou signalétique –, c’est par le travail du détail que s’immisce mon intérêt aux dessins des objets. Porteur d’un signe, d’une référence, provocant un basculement sémantique, déterminant la perception d’une réalisation. Il me permet de travailler les formes sans les dessiner pour elles-mêmes, mais en les contraignant à exprimer le propos qui les façonne. Le détail comme une interface entre forme et sens », complète Gilles Belley. Pour finir, parlons de Barnabé Fillion et de la machine à diffuser du parfum, The Peddler, réalisée en collaboration avec les designers Unfold et la céramiste Perla Valtierra. Il faut tourner la manivelle pour libérer les senteurs. Le parfum est « un écho à une perception de la nature, où l’inspiration se joue des sens pour créer un espace poétique », indique le parfumeur. La poésie, voilà bien l’essentiel.

David Enon
Multimeuble, David Enon, 2009

GALERIE

Contact
Art Paris Art Fair, jusqu’au 30 mars au Grand Palais, avenue Winston-Churchill 75008 Paris. Jeudi 27 mars de 11 h 30 à 20 h, vendredi 28 mars de 11 h 30 à 22 h, samedi 29 mars de 11 h 30 à 20 h, dimanche 30 mars de 11 h 30 à 19 h. Prix d’entrée : 22 €, 12 € pour les étudiants et les groupes à partir de 10 personnes. Gratuit pour les moins de 10 ans. 
Crédits photos
Multimeuble © David Enon,Breakwater © Joseph Meidan,Last Memories © Gilles Belley,Inside Pedestal © Eric Van De Walle,Multimeuble © David Enon,No GMO © Dominique Mathieu,Onde © Perrine Vigneron, © Photo MLD,Extreme Stunt © Statue,The Peddler © Barnabé Fillion
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