Sylvie Fleury à Genève et à Rome – La magie au jour le jour

Elle a griffé son nom en mettant en scène des objets de luxe. Elle vit dans l’ancienne maison d’un magicien, collectionne des araignées et des boules de cristal, est accro aux voitures et aux talons aiguilles. Artiste difficile à saisir, tout comme son œuvre, Sylvie Fleury participent actuellement à deux expositions collectives : l’une, dédiée à l’utilisation du néon dans l’art, est présentée au Macro de Rome ; l’autre a pour thème la chambre et se tient au Mamco, à Genève, sa ville natale. A cette double occasion, nous mettons en ligne le portrait de la plasticienne écrit pour Cimaise (282).

Elle a le génie de dérouter. Sylvie Fleury est comme un aimant qui tantôt vous attire, puis vous abandonne sans crier gare. Sa voix a tous les accents de la franchise et de la sensibilité, mais avec elle, on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre, sinon à l’imprévisible. Cette femme possède l’art de déconcerter autant que ses installations troublent : chaussures de marque sur coussins de fourrure, voitures écrasées couvertes de vernis à ongles, fusées et champignons géants… Quant à son message… Certains parlent d’hymne au fétichisme, d’autres d’ode au féminisme, le tout dans un monde cruellement consommateur. « C’est difficile de cataloguer mon travail et ça m’ennuie de toujours devoir l’expliquer. Il n’existe pas qu’une lecture, je cherche au contraire à ce qu’il y ait de nombreux niveaux d’analyse possible. Il faut laisser la liberté de regarder. Chacun voit des choses différentes parce que personne n’a le même bagage. »

La légende Fleury débute en 1989, lorsqu’elle revient s’installer dans sa ville natale, Genève. Elle a 28 ans. Ce qu’elle a fait jusque-là demeure un peu flou. « Je n’ai jamais eu d’objectif précis et le travail ne m’a jamais passionné. » On sait qu’elle est partie à 20 ans comme jeune fille au pair aux Etats-Unis, mais qu’elle y a surtout étudié la photographie, qu’elle a vécu un temps entre l’Angleterre et l’Espagne, qu’elle a dirigé une galerie suisse et, qu’un jour, elle est partie faire du shopping dans un autre but que celui de compléter sa garde-robe.

Ce jour-là, en posant les sacs « griffés » par terre, non seulement elle crée sa première installation, mais elle délimite son futur territoire. « Dès le début, j’ai utilisé des labels de luxe. Du coup, j’ai été labellisée à mon tour. Au début des années 1990, il y avait une sorte de mouvement, l’art et la mode, dans lequel j’ai été intégrée. Pourtant, ce n’était pas vraiment de la mode dont je parlais, mais plutôt de la société de consommation et de la notion d’identité de la femme de notre époque. »

Consommatrice sans sponsors

Depuis le début de sa carrière artistique, Sylvie Fleury a employé des centaines de flacons de parfum, de rouges à lèvres, de chaussures et autres vernis à ongles dans ses installations – et pas n’importe lesquels ! Serait-elle une chouchoute des grandes marques ? « J’ai toujours tout acheté, on ne m’a rien donné ! Je ne veux pas être sponsorisée et tiens à garder mon libre arbitre. En plus, il y a toujours une raison bien précise pour laquelle j’utilise tel produit plutôt qu’un autre. »

Sylvie Fleury, photo musée St. Galen, Suisse
Spring Summer, Sylvie Fleury et John Armleder, 2000
Elle vit dans la Villa Magica, ancienne demeure du fameux professeur Magicus, Adolphe Blind de son vrai nom. « J’ai retrouvé sa trace dans l’annuaire des magiciens de 1924. Depuis que j’habite ici, je me suis efforcée de préserver son esprit au sein de la maison, de ne rien changer.… » Collectionnait-il, comme elle, des araignées et des boules de cristal ? Possédait-il autant de livres de magie dans sa bibliothèque ? Un chat sans nom, venu s’installer sans demander la permission ? Un appareil à photographier les auras ? Difficile de le savoir. Mais, une chose est certaine : il aurait apprécié que le mystère des lieux demeure. Bien entendu, Sylvie Fleury se s’est pas retrouvée là par hasard… « Je crois cependant qu’il n’y a pas de raison à tout. On cherche trop d’explications, on se pose trop de questions. Les choses sont comme elles sont, et puis voilà ! » L’univers ésotérique aurait donc ses limites ? « Je m’entoure de boules de cristal parce que j’aime leur beauté et leurs reflets, pas pour prédire l’avenir. C’est pareil pour l’astrologie : j’aime l’idée, mais je n’aime pas savoir ce que réserve le futur… »

Voitures, vidéos et talons hauts

La Suissesse ne se contente pas de pratiquer le yoga et la méditation dans un décor surnaturel, ni d’inventer des installations que d’autres se creusent ensuite la tête à disséquer. Elle collectionne aussi les passions. Parmi les plus obsédantes, il y a les voitures. « Ma relation avec les voitures est très forte. Je peux en parler pendant des heures, j’adore les moteurs, leur bruit… Les voitures ont toujours été présentes dans mon travail. Elles sont utiles pour illustrer mes propos, la notion de véhicule est très symbolique. » Sans oublier sa vénération pour les chaussures à talons hauts, qu’elle collectionne sans modération. Rien d’étrange, donc, à ce qu’elle leur donne à tenir les rôles principaux dans sa première vidéo, Twinkle, réalisée en 1992. « J’avais placé une caméra dans mon armoire à chaussures et je les ai toutes essayées. »

Ses installations, vidéos, et autres expériences visuelles et sonores sont visibles partout dans le monde. Très sollicitée, Sylvie Fleury répond à beaucoup de demandes et adapte ses séquences aux lieux d’expositions ; elle ne travaille que rarement seule. « Je ne tente pas de maîtriser des procédés de fabrication. Je dessine, je mets en scène, mais ce sont d’autres personnes qui fabriquent mes œuvres. J’ai des assistants. J’ai besoin de collaborer avec d’autres pour être contredite, remise en question, poussée. J’écoute beaucoup les autres, tous les gens que je rencontre me marquent… » Et tous ceux qui la rencontrent sont marqués à leur tour. C’est cela la magie.

Sylvie Fleury, photo galerie Thaddaeus Ropac, Salzbourg-Paris
Champignons et tableau mural, Sylvie Fleury

GALERIE

Contact
Néon, la matière lumineuse de l’art, jusqu’au 11 novembre au Mamco – Musée d’art moderne et contemporain, 10, rue des Vieux-Grenadiers, CH-1205 Genève, Suisse.
Tél. : +41 22 320 61 22 www.mamco.ch.
Biens communs II, Les Chambres, jusqu’au 20 janvier 2013 au Mamco, 10, rue des Vieux-Grenadiers, CH-1205 Genève, Suisse. Tél. : +41 22 320 61 22 et www.mamco.ch.
Crédits photos
Champignons et tableau mural © Sylvie Fleury, photo galerie Thaddaeus Ropac, Salzbourg-Paris,Spring Summer © Sylvie Fleury, photo musée St. Galen, Suisse,Untitled (Ô), purple neon (250 x 185 x 10 cm) © Sylvie Fleury,Yes to all © Sylvie Fleury, photo galerie Thaddaeus Ropac, Salzbourg-Paris
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