Anne-Valérie Gasc et Eric van Hove à Tours – Renaissances

La première explore le thème de la destruction, mettant en exergue la notion de temps, le second rend hommage avec force poésie aux savoir-faire ancestraux marocains. Le Centre de création contemporaine de Tours accueille actuellement Decazeville- 2012.08.01-11:00:00 d’Anne-Valérie Gasc et V12 Laraki d’Eric van Hove. Deux expositions distinctes qui témoignent de projets artistiques originaux et parfaitement orchestrés.

Un message avertit le visiteur de la brusque violence sonore à laquelle il va être soumis. Ce dernier ainsi conditionné avance à pas de loup, comme si l’explosion de bruit annoncée allait s’accompagner de l’apparition d’une image effrayante. Le syndrome du train fantôme en quelque sorte. Ici, le gardien du temple est un imposant pneu orange qui, équipé d’une caméra vidéo placée en son centre, peut être déposé par l’artiste dans un chantier de démolition sans risquer l’écrasement. Anne-Valérie Gasc développe le projet Crash Box depuis trois ans, avec pour objectif « de saisir en images le cœur du foudroyage intégral d’un bâtiment, d’en disséminer l’épicentre, d’en propager l’onde de choc », comme nous l’explique le Centre de création contemporaine (CCC) de Tours qui l’accueille jusqu’au 25 août. Depuis le milieu des années 2000, l’artiste mène des projets qui visent à atteindre, par l’exploration de la destruction, un temps suspendu. Instant fugitif et insaisissable. Alors, les structures s’affaissent, s’effondrent, s’embrasent, explosent pour ouvrir une brèche qui laisse libre cours à l’art, « au moment précis ou plus rien n’est certain, autrement dit, où tout est possible », précise la plasticienne.Deux minutes de respiration

Dans la première salle une vidéo dévoile un plan fixe. La Crash Box, installée dans une pièce délabrée, enregistre seconde après seconde l’illusion d’un film sans action, contrecarrée par la tension de la bande son. Inexorablement, le temps se tend comme un élastique, sans pour autant que le regardeur anticipe le moment de l’explosion et la plongée finale dans le noir. L’esprit groggy flotte alors dans le souvenir de la bâtisse soufflée. Un scénario joué en boucle. 12 mn 10 s : dix minutes d’attente, dix secondes de basculement et deux minutes de respiration. Et Anne-Valérie Gasc de citer Michel Foucault : « Je suis un artificier. Je fabrique quelque chose qui sert finalement à un siège, à une guerre, à une destruction. Je ne suis pas pour la destruction, mais je suis pour qu’on puisse passer, pour qu’on puisse avancer, pour qu’on puisse faire tomber les murs… » *.

Je suis un artificier, Michel Foucault, entretiens, 1975, In Roger-Pol Droit (ed.)

Anne-Valérie Gasc
Crash Box, Anne-Valérie Gasc, foudroyage de la Tour de Combettes

Dans l’espace d’à côté, une pièce toute d’acier galvanisé et de leds est accrochée au mur. En présence du visiteur, elle se déclenche, comptabilise les secondes, véritable compte à rebours à l’envers. Les minutes s’égrainent vers un terme encore inconnu. 12 mm et 10 s. Cette fois, l’explosion est de lumière. Aussi surprenante que la détonation de la vidéo, elle éblouit et oblige à fermer les yeux, à entrer en soi. L’artiste, en choisissant la même durée pour les deux expériences, les lie immanquablement. Elle externalise et décale le compteur de temps initialement inscrit sur l’écran de la caméra. D’un côté se jouent l’image et le son, de l’autre s’écoule le temps. Obscurité et clarté mènent ici sans détours à l’aveuglement.Bois incrusté de nacre, cuivre ciselé, cuir tressé…

L’autre exposition estivale du CCC est consacrée à V12 Laraki, projet d’Eric van Hove. L’artiste intrinsèquement nomade – d’origine belge, né en Algérie, il a grandi au Cameroun et vit régulièrement au Japon – a travaillé pendant près d’un an au Maroc pour parfaire le rêve d’un autre : Abdeslam Laraki, qui voulait créer la première voiture de sport 100 % marocaine affranchie des techniques de l’industrie occidentale et japonaise. Réalisée à Casablanca, la Laraki Fulgura vit le jour en 2004, sans toutefois combler entièrement son constructeur. En effet, son moteur n’avait pas pu être fabriqué sur place et venait d’Allemagne. C’est ce cœur indispensable que l’artiste a décidé d’offrir au regard. Les 465 pièces, qui composent le moteur Mercedes V12 d’origine, ont été réinterprétées par quarante artisans marocains. Chacune d’entre elles illustrant un savoir-faire ancestral. Assemblées les unes aux autres, elles forment désormais un objet improbable et d’une grande beauté. « Le moteur sera sa propre métaphore, un tout dépassant la somme de ses parties », indique Eric van Hove. Bois incrusté de nacre, cuivre ciselé, cuir tressé… autant de matériaux minutieusement travaillés. De gestes montrés dans une vidéo muette qui laisse parler les mains créatrices. Au mur, des patrons en carton de certains éléments, dans des vitrines, des pièces écartées mais précieuses. Face à cet ensemble de témoignages, il semble bien que l’objet de toutes les attentions ne soit pas l’œuvre, mais seulement sa conséquence. Cette dernière, plus humaine, plus vivante, se déploie, se respire, au fil d’une histoire partagée, d’un but commun réalisé.

Anne-Valérie Gasc
Crash Box – modèle 2012, Anne-Valérie Gasc

GALERIE

Contact
Anne-Valérie Gasc – Decazeville et Eric van Hove – V12 Laraki jusqu’au 25 août au CCC – Centre de création contemporaine, 55, rue Marcel-Tribut, 37000, Tours, France.
Tél. : 02 47 66 50 00 www.ccc-art.com.
Visite commentée le 3 août à 16 h 30
Crédits photos
Crash Box © Anne-Valérie Gasc,Crash Box – modèle 2012 © Anne-Valérie Gasc,Vue d’exposition © Anne-Valérie Gasc, photo François Fernandez, © Anne-Valérie Gasc,V12 Laraki (détail) © Éric van Hove,V12 Laraki « Images of the making » © Éric van Hove
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