Duplex10m2 à Paris – Le second souffle

Pierre Courtin s’est installé à Sarajevo en 2004. Depuis, il n’a de cesse de défendre la scène artistique de Bosnie-Herzégovine et, plus largement, celle des Balkans. A l’occasion de sa venue à NoFound Photo Fair, du 16 au 19 novembre à Paris, il fait le point sur l’actualité de sa galerie Duplex10m2.

« Une grande perte », « Une histoire qui force le respect », « Un environnement hyper positif », « Le seul endroit où les normes institutionnelles n’étaient pas impératives », « Un lieu motivant », « Une atmosphère créative et ouverte »… Il y a un an les acteurs de la vie culturelle et artistique de Sarajevo n’avaient pas d’expressions assez fortes pour évoquer leur tristesse et leur regret face à la fermeture de Duplex10m2. L’aventure entamée par Pierre Courtin et l’association DADADA en 2004, avec l’inauguration de la Galerija 10m2, en plein cœur de la capitale bosnienne, et poursuivie cinq ans plus tard par l’ouverture d’un espace plus vaste, Duplex, semblait vouloir tourner court. Tous ceux qui avaient eu la joie de fréquenter ces lieux connaissaient le professionnalisme de l’entreprise et la qualité des relations humaines qui y étaient entretenues. Le moral était en berne et Pierre épuisé par sept années d’un travail acharné, porté par une foi indéfectible dans l’art et dans l’homme. Personne ne voulait imaginer la scène artistique bosnienne sans cet irréductible Français, qui s’était donné pour mission d’accueillir, de produire, de diffuser et de promouvoir la création contemporaine en Bosnie-Herzégovine et plus largement dans les Balkans. « Avec ce concept d’un espace artistique ouvert à l’international, il a radicalement initié de nouvelles pratiques dans le pays, offrant pour la première fois une plateforme à un grand nombre de jeunes artistes et favorisant en permanence de nouvelles collaborations avec des créateurs et des professionnels internationaux. Une chose est sûre, il y a un avant et un après Duplex », explique alors la commissaire d’exposition Sandra Bradvi?. Douze mois se sont écoulés depuis l’annonce de la fermeture de Duplex10m2 et Pierre Courtin a heureusement trouvé un second souffle. Explications.

ArtsHebdo Médias. – L’année dernière vous annonciez la fermeture de Duplex10m2. Que s’est-il passé ?

Pierre Courtin. – Plusieurs choses sont à l’origine de la fermeture : une augmentation significative des loyers de Duplex et de 10m2, une détérioration des espaces et, surtout, une forme d’épuisement. Nous avions tenu un rythme de folie pendant sept ans, trouvant au jour le jour les solutions pour notre survie. Nous étions en permanence dans l’action, plus de 170 projets ont été réalisés durant cette période. Il fallait fermer pour réfléchir, repenser le dispositif, pour savoir que faire de tout ça. Ce fût une décision très difficile à prendre, je n’en ai pas dormi pendant des nuits. En décembre dernier, j’étais complètement démoralisé mais, aujourd’hui, je suis convaincu que j’ai bien fait, que nous avons arrêté juste au bon moment.

Duplex10m2 a la réputation d’une « scène artistique idéale ». Comment entendez-vous un tel compliment ?

J’en suis évidemment très heureux. « Idéale », c’est un peu fort mais nous avons toujours fait tout notre possible pour faire de belles choses, pour que les artistes soient heureux et fiers des projets menés ensemble. « Idéale », peut-être aussi grâce à l’accueil tant d’artistes confirmés que de jeunes talents, voire d’étudiants. Beaucoup ont réalisé leur première exposition à Duplex10m2. « Idéale » également dans le sens où nous étions ouverts à toutes sortes de pratiques, de médiums, d’intentions… « Idéale », encore, car Duplex10m2 était devenu un véritable espace de rencontres, de débordements : beaucoup de choses y ont été tentées même si toutes n’ont pas été réussies ! Bref, un gros travail de mise en réseau, d’établissement de connexions. Aux vernissages, retentissaient des langues de toute l’Europe et d’ailleurs. Cela ressemblait à une utopie qui fonctionnait. Il n’y avait ni concurrence, ni compétition. Chaque artiste invité a rendu ce « rêve » possible.

Un livre retrace l’expérience Duplex10m2 de 2004 à 2011. Pourquoi est-il important d’avoir consigné les faits de la sorte ?

A la fermeture des lieux, j’étais relativement désemparé. L’idée de faire un livre était une solution pour plonger dans les tonnes d’archives, les milliers de documents, textes, photos et, en quelque sorte, pour mettre un peu d’ordre dans tout ça. J’avais envie de faire partager l’aventure à d’autres. Duplex et 10m2 fermés, il fallait que nous gardions une trace tangible de tout ce qui s’était passé. Très rapidement, j’ai eu un soutien sans pareil de l’artiste Ulay et d’agnès b. pour rendre cet inventaire réalisable.

Ziyah Gafic courtesy Duplex10m2
Quest for identity, Ziyah Gafic
La fermeture de Duplex10m2 était en apparence la fin d’une aventure, mais, depuis, les échos sont nombreux. Comment s’est passée l’année qui vient de s’écouler ?

Nous avons passé trois mois à la réalisation du livre puis, avec la fondation agnès b. à mes côtés, j’ai commencé à réfléchir aux suites à donner : comment mieux faire, où et pourquoi. Au final, après de nombreuses recherches, j’ai décidé de réinstaller la galerie dans un grand appartement austro-hongrois en plein centre-ville de Sarajevo, à deux pas du célèbre pont sur lequel fût assassiné l’archiduc François-Ferdinand, événement qui entraîna la Première Guerre mondiale. Coup du hasard, cet appartement était dans le même bâtiment que le SCCA, centre d’art contemporain de Sarajevo avec lequel j’ai monté de nombreux projets. Je ne pouvais rêver mieux comme voisinage. Par ailleurs, grâce à Alexis Argyroglo, un ami qui travaille au centre Pompidou, à Paris, nous avons organisé une présentation du livre en juillet à la librairie Flammarion du centre. Ce fût un véritable succès. Nous avions réalisé une vitrine designée pour l’occasion par Nina Knecevic. Une grande image y était apposée. Elle représentait les symboles de Sarajevo. Tout était en couleur, c’était joyeux et positif. Cela changeait beaucoup de la vision que l’étranger peut avoir de la Bosnie. Puis, fin juillet, nous avons présenté le livre à Sarajevo pour la réouverture de la galerie. Une histoire était terminée, mais une autre débutait. J’avais bien entendu dit à tous les artistes de venir prendre un livre et plus de 200 exemplaires sont partis en quelques jours. Tous étaient ravis de découvrir ce livre, il y a très peu ou pas d’équivalent en Bosnie. En septembre, les expositions ont repris, tout d’abord avec Mathieu Valade et Valérie Roberge, venus du Canada, et puis, tout récemment, avec une participation au festival Human Rights de Sarajevo.

Alors, c’est un peu comme pour les rois de France ? « Duplex10m2 est mort. Vive Duplex10m2 ! »

Malgré tout, c’est une nouvelle aventure ! Nous allons mettre tout notre savoir-faire et toute notre énergie retrouvée pour faire de ce nouveau lieu, qui s’appelle toujours Duplex10m2, un élément important de la scène culturelle contemporaine à Sarajevo. L’appartement de 100 m2 est divisé en deux parties. Un côté, resté dans son « jus », fait office de bureau, salle de réunion, lieu de vie, de rencontres et d’exposition. L’autre a complètement été « neutralisé », les fenêtres bouchées, les murs refaits. Il sera notre White cube.

Qu’avez-vous appris des premières années Duplex10m2 ?

Presque trop de choses ! Il me faudrait un autre livre pour tout expliquer, mais disons pour résumer que l’aventure humaine, les relations partagées et l’entraide sont les moteurs les plus importants qui soient.

Quel est le but de votre présence à NoFound Photo Fair ?

Nous poursuivons notre engagement auprès des artistes de Bosnie et notre participation à NoFound, avec le soutien de Reporters sans frontières, en est un parfait exemple. Nous continuons de diffuser à l’international ce qui se passe et se joue aujourd’hui en Bosnie. Nous présentons à cette occasion des photographies d’Adela Juši?, Ziyah Gafi?, Marianne Mari?, Milomir Kova?evi? et Nebojša Shoba Šeri?.

Quelques mots sur vos projets ?

Ils sont nombreux ! Certains ne peuvent encore être dévoilés, mais nous souhaitons qu’ils soient de grands moments pour la promotion de l’art en Bosnie. Nous allons, bien entendu, poursuivre les expositions dans notre nouveau lieu. Fin novembre, Radenko Milak, un excellent peintre bosnien, sera notre invité. Des événements hors les murs sont également au programme. Bref, la machine est repartie et nous espérons pour longtemps.

Milomir Kova?evi? courtesy Duplex10m2
Mali vojnici, Milomir Kova?evi?, 1992

GALERIE

Contact
Galerie Duplex/10m2, Obala Kulina Bana 22, 71000 Sarajevo, Bosnie-Herzégovine.
Tél. : +387 (0)63 952 197 www.duplex10m2.com.
La galerie participe, du 16 au 19 novembre, à NoFound Photo Fair, 66, rue de Turenne, 75003 Paris.
Crédits photos
Vue de la galerie Duplex10m2, côté rue et côté cour © Duplex10m2,Série Sarajevo © Marianne Maric courtesy Duplex10m2,Mali vojnici © Milomir Kova?evi? courtesy Duplex10m2,Quest for identity © Ziyah Gafic courtesy Duplex10m2
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