Dabitch & Pendanx – Jeronimus, naufragé corps et âme

 

Pays-Bas, octobre 1628. Trois cent quarante et une personnes quittent le port d’Amsterdam à bord du Batavia. Parmi elles, un apothicaire de trente ans, désormais un homme foudroyé de douleur depuis la disparition de son fils. Atteint de la syphilis, le nourrisson s’est éteint quelques semaines après sa naissance. Accablé, Jeronimus quitte sa femme, liquide son commerce et s’abandonne aveuglément aux flots noirs et amers de l’Océan pour mieux oublier la terre des hommes. Il embarque à destination de Java sur l’un des plus beaux fleurons de la puissante Compagnie néerlandaise des Indes, un superbe trois-mâts chargé de riches marchandises, d’or et de bijoux. C’est une bien sombre histoire que celle de Jeronimus Cornelisz – qui a réellement existé –, et dont Dabitch et Pendanx romancent à peine la vie. Ce voyage en haute mer va totalement métamorphoser le héros. De houle en tempête psychologique, on va assister non seulement au naufrage d’un voilier mais également à celui d’un homme. Insidieusement la réserve matoise du commerçant érudit cède la place au mutin qui va fomenter la révolte. L’homme blessé mue en un Méphistophélès d’une cruauté glacée. Jeronimus manigance de s’emparer de la précieuse cargaison, aidé d’un capitaine aussi ivrogne que libertin auprès des servantes du bord. Mais l’Océan dispose. Les flots déchaînés redoublent d’assaut ; lourds de reproches envers les hommes, ils assènent déferlantes sur coups de boutoir. Les mâts geignent sous les voiles déchiquetées, et en vue des côtes australiennes, les flancs du navire s’éventrent sur des récifs meurtriers. S’appuyant sur une solide documentation, notamment l’ouvrage de Simon Leys, Les naufragés du Batavia, Dabitch et Pendanx ont eu la riche idée d’adouber leur récit par une illustration s’inspirant de la technique des peintres hollandais du XVIIIe siècle. Comme le naufrage de la Méduse, celui du Batavia impressionne par la maîtrise des couleurs marines jaillies de la funeste tempête. Virtuosité picturale oblige, on plonge dans l’atmosphère de l’époque, et la narration offre au lecteur le bonheur de s’attarder sur le trait, les lumières et les ombres, dignes des tableaux de maîtres. Il faut préciser qu’Haarlem, la ville d’origine de Jeronimus Cornelisz, est connue pour avoir abrité dès 1583 une fameuse académie de peinture. Le titre de l’album est aussi un clin d’œil au célèbre peintre flamand, halluciné et sulfureux, Hieronymus Bosch. Fond et forme en harmonie, Dabitch et Pendanx en profitent pour décrire la précarité extrême des conditions de vie des marins ainsi que les luttes sociales exacerbées par la promiscuité. Le troisième album clôturant la série – en librairie sous peu –, nous livrera sans doute les dernières clés du mystère de Jeronimus, serial killer des mers d’un genre nouveau. « Un naufragé garde l’horreur des flots, même tranquilles », affirmait Ovide. Une chance que Dabitch et Pendanx aient gardé bon pied (marin) et bon œil tout au long de cette splendide trilogie.

Jeronimus, tomes 1 et 2, chez Futuropolis.

Jeronimus, Dabitch & Pendanx, 2008

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