Sebastian Masegosa – La couleur et l’infini

Sa recherche passionnée de l’« algo mas » l’entraîne sur les chemins escarpés d’une abstraction sans cesse renouvelée. A 34 ans, le peintre fête déjà 20 ans de recherche effrénée. Rencontre avec un artiste au cœur de la movida argentine.

Au premier étage de la galerie Javier Baliña, au centre du quartier huppé de la Recoleta de Buenos Aires, les toiles abstraites de Sebastian Masegosa marquent l’espace d’une empreinte insaisissable. En ce jour de vernissage, l’Argentin au regard doux mais acéré profite, sur le balcon, d’un court répit avant que la foule ne se presse. De l’à-pic de la rue Arenales, vivante jour et nuit, il confie : « L’œuvre est générée par l’artiste, à l’observateur de la compléter. » Sans même s’en apercevoir, on commence par scruter au plus près les détails d’une toile pour finalement prendre du champ. Captivé par les grands formats, l’œil bat la chamade entre profondeur et premier plan. La couleur omniprésente frappe les avatars d’une œuvre gigantesque. A 34 ans, le peintre, et non « artiste plasticien » comme il se plaît à le préciser, célèbre ses vingt ans de métier ! Le premier jalon de sa carrière a été l’obtention du second prix de la Maison de la Culture de San Isidro, sa ville natale et l’une des agglomérations rivales de Buenos Aires. Il avait à peine quinze ans. L’Argentin sourit à l’évocation de la précocité de son talent, soulignant « qu’un artiste l’est à la naissance, il ne le devient pas. » Avant de trouver sa réalité picturale, Sebastian Masegosa a arpenté différents styles avec une seule certitude : « Les figures ont une limite, et pour pouvoir s’exprimer, il ne doit y en avoir aucune. »

Une technique au service de l’expression

Si le peintre est au cœur de la movida de la capitale argentine, il n’en reste pas moins « sanisidrense ».  Dans l’album Tango, Hugo Pratt a immortalisé cette banlieue nordiste, alors populaire, en y aventurant Corto Maltese sous deux lunes jumelles. Interrogé sur ce curieux phénomène astral,  Sebastian Masegosa n’y voit qu’une simple légende. Pourtant, cette bipolarité métaphorique n’est-elle pas le reflet de la passion et de l’assurance tranquille qu’affiche le peintre ? Une question qu’il élude, précisant qu’il vit à San Isidro, qu’il est « totalement urbain » et qu’il ne va jamais « al campo » (à la campagne). L’artiste ne dévoile pas ses influences. Pourtant, au gré des « plus infimes changements de son fort intérieur », ses toiles oscillent entre couleurs pâles et noire pénombre. Ce serait même cette dernière qu’il préfère… Si l’hidalgo a disposé de professeurs, il n’a pas bénéficié de mentors ni de parrains. Certes il évoque Diana Aisenberg ou encore Marco Otero, deux artistes argentins dont le souci du détail et les productions diverses plaident plus pour l’indépendance artistique que pour une chapelle ou un courant à suivre. En revanche, il a bénéficié de soutiens indéfectibles, à l’instar de Javier Baliña, son galeriste, qui lui a dédié tout son stand lors du salon Arteaméricas de Miami en 2008.

Chez Sebastian Masegosa, il n’y a pas de recette mais bien une œuvre en cours. « La technique est au service de l’expression. Les matériaux que j’utilise dépendent de l’effet que je recherche. Ainsi, ils sont divers et peu conventionnels »,  explique-t-il. Les conventions, Masegosa s’en passe. Acrylique, gouache et huile se mêlent aux projections d’acides ou aux peintures d’asphalte. Cette technique mixte n’est par conséquent qu’un moyen, non un faire-valoir, qu’il décline pour atteindre cet « algo mas »,  ce « quelque chose de plus »,  qui fait « qu’un artiste s’exprime toujours de façon différente même si par certains détails son style demeure reconnaissable. »

Sebastian Masegosa courtesy galerie Javier Baliña
Sans titre, Sebastian Masegosa

« Laisser couler la création »

Exilés encore quelques instants ensemble, entre le brouhaha qui monte de l’exposition et le calme relatif du balcon, on comprend que Masegosa ne cherche pas à incarner ses œuvres qu’elles se suffisent à elles-mêmes. « Je travaille des toiles, non des séries. Les séries se forment avec les pièces que je sélectionne », ajoute-t-il, attaché viscéralement à l’existence propre de chacun de ses tableaux. Il résume son travail à l’éthique, stricto sensu, que produit l’esthétique de ses toiles : « Le processus consiste à laisser couler la création pour qu’elle prenne corps, ce qui souvent, n’est pas sans me surprendre ! » Ses toiles diffusent une lumière tamisée dont les couleurs d’essence mate éclairent en profondeur des sujets libres aux dimensions délibérément équivoques. Ainsi, Sebastian Masegosa cultive-t-il un sceau particulier qui d’une esquisse fulgurante fait un monde abstrait. Il reste discret quant à ses expositions passées et préfère penser que ses « toiles se trouvent à Pékin, Monaco, Berlin, Londres ou New-York. Et surtout, réfléchir à la suite… » Car à travers chacun de ses tableaux, Masegosa développe, sans la répéter, une empreinte qu’il ne souhaite surtout pas théoriser. A cela, il « préfère que le spectateur ressente sans intellectualiser, ni interpréter. La priorité, c’est l’œuvre, la création. » Tout est dit avant que Sebastian Masegosa ne s’en retourne trinquer avec ses invités.

GALERIE

Crédits photos
Sans titre © Sebastian Masegosa courtesy galerie Javier Baliña,Sans titre © Sebastian Masegosa courtesy galerie Javier Baliña,Sans titre © Sebastian Masegosa courtesy galerie Javier Baliña,Sans titre © Sebastian Masegosa courtesy galerie Javier Baliña
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