Shilpa Gupta | Drawing in the dark

Artiste majeure de la scène artistique indienne, Shilpa Gupta (née à Mumbai en 1976) mène depuis plusieurs années des recherches de fond et de terrain sur les flux migratoires, les minorités ethniques, ou encore la mondialisation et ses effets sur la circulation des biens et des personnes. Pour le centre d’art contemporain - la synagogue de Delme, l’artiste convoque l’ensemble de ces thèmes et engage le spectateur dans une relation physique à l’espace dès l’entrée de l’exposition : une lourde barre de métal vient perturber l’architecture et le passage des visiteurs. À la violence d’un geste de séparation entre extérieur et intérieur, Shilpa Gupta oppose la liberté de chacun de se frayer un passage. Avec l’exposition Drawing in the Dark, elle aborde les notions de frontières en montrant que les transferts culturels, les échanges économiques et humains redessinent de manière subjective les lignes de démarcation officielles et suggèrent une redéfinition des États-nations. Elle s’intéresse particulièrement à la frontière entre l’Inde et le Bangladesh, qui court sur plusieurs milliers de kilomètres. Celle-ci a donné lieu à la construction par l’Inde du plus long mur jamais érigé entre deux états, et fait l’objet de très fortes tensions politiques et sociales. En 2016, elle s’est à nouveau rendue dans cette zone frontalière afin de récolter images, objets, récits intimes et collectifs de la vie quotidienne. Un appareil policier massif organise la répression des populations de part et d’autre d’un mur imposé unilatéralement, qui entraîne un réseau complexe de contrebande, d’échanges clandestins et informels. Les œuvres produites pour l’exposition évoquent l’ensemble des stratégies de détournement, d’évitement ou de perturbation des systèmes de contrôle. En effet, les réalités sociales et humaines, les impératifs économiques sont tels que la lourdeur du dispositif « sécuritaire » mis en place par le gouvernement indien ne parvient pas à endiguer les échanges permanents au sein d’une région dont l’Histoire, la culture et la géographie sont communes. Les dessins que l'artiste réalise à partir de feuilles de marijuana, les photographies dans lesquelles elle associe des images de ciels à des pièces détachées, la forme qu’elle sculpte à partir de lambeaux de sari, rappellent autant d’objets qui traversent la frontière illégalement. L’artiste donne une expression résolument poétique à ce monde invisible et mineur, construit au fil des transactions, des déplacements quotidiens et des désirs contraints. Comme ces nuages photographiés, comme ces pierres que les rivières de la région emportent avec elles et dont on entend le bruit frappé dans l’exposition, les hommes, les animaux, les plantes et les marchandises n’obéissent à aucune règle. Shilpa Gupta nous rappelle que la vie sous un ciel collectif ne cesse de mettre en crise les contours imposés à la carte du monde. Marie Cozette. Visuel : Unnoticed, 2017,  fragments de pièces automobiles (123 x 172 cm). Courtesy : Shilpa Gupta et Galerie CONTINUA, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana. Photo : Tom Callemin. Vue de l'exposition à KIOSK, Gand, Belgique.