Jacques Villeglé | Des mots et des merveilles

« Pendant près de soixante ans, il a arpenté la ville en tous sens en quête d’affiches lacérées anonymes dont il a fait des tableaux pour composer comme un grand livre d’heures. A la fin des années 1960, au fil de ses promenades, il s’est emparé des signes dont les murs étaient recouverts et il a créé un alphabet sociopolitique. Si, depuis une vingtaine d’années, il a mis un terme à la récolte des affiches, Jacques Villeglé, 92ans, figure majeure du Nouveau Réalisme, ne se consacre plus qu’à l’écriture et au dessin. Toujours prompt à se saisir de la moindre occasion pour dresser une liste de mots en forme de manifeste, rendre hommage à telle ou telle figure du passé, décliner un texte de référence tout le long de grandes bâches plastiques, graver un verre de paroles poétiques ou inscrire dans le métal certains mots comme des slogans. “En relevant les signes qui, en un passé proche, ont été les symboles de forces étatiques, idéologiques, tyranniques, destructrices, je ne réveille pas plus la haine que je ne la banalise. Tout au plus, je secoue les ensommeillés, ceux qui refusent de regarder l’histoire en face.” L’histoire, qu’elle s’écrive avec un petit ou un grand H, elle est le fil conducteur de la démarche de Villeglé. Sa façon à lui d’être de son temps et dans le temps. L’alphabet qu’il s’est inventé, Villeglé l’a ainsi décliné à l’ordre de toute une production graphique, en écho tant à des références littéraires qu’à des formules slogans sur le monde aujourd’hui ou pour la seule force de sens et de signe de certains mots. (...) “Etre étonné, c’est un bonheur”, lui a-t-on demandé de pocharder ici et là, il y a quelques années, reprenant à son compte la formule bienheureuse d’Edgar Poe sur différents supports. De l’étonnement à l’émerveillement, l’œuvre graphique de Jacques Villeglé est la meilleure garantie de salubrité sémantique. » Philippe Piguet, commissaire de l’exposition. Visuel : Les Murs ont la parole (détail), Jacques Villeglé, 2001.​